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Que faire en cas d’absence de restitution par le salarié des biens et matériels de l’entreprise ?

Il n’est pas rare qu’au moment de la rupture du contrat de travail d’un salarié, pour quelque cause que ce soit, les relations deviennent conflictuelles.

Certains salariés font même la sourde oreille, et ne restituent pas le matériel de l’entreprise qui leur a été confié (véhicule de fonction, ordinateur portable, téléphones, échantillons, etc.).

L’employeur se retrouve à devoir gérer une situation imprévue, qui peut avoir des conséquences importantes, et peut se voir tenter de refuser de communiquer les documents de fin de contrat tant que le salarié ne procède pas à la restitution.

Cela soulève de nombreuses questions pratiques pour l’employeur.

1. A quel moment l’employeur peut-il demander au salarié de restituer les biens et matériels de l’entreprise ?

a/ L’employeur peut demander la restitution du matériel utilisé de manière exclusivement professionnel (téléphone portable, ordinateur, échantillons, etc.) confié au salarié à partir du moment où il n’est plus en position d’effectuer son travail.

Cela peut être au terme du contrat de travail, mais également avant, en cas d’arrêt de travail du salarié, de dispense de préavis ou de suspension de son contrat de travail.

b/ Pour le véhicule de fonction, le logement de fonction, ou autres avantages en nature, c’est un peu plus compliqué, puisqu’ils sont considérés comme des éléments de rémunération.

Or, le salarié a droit au maintien intégral de sa rémunération pendant la période de dispense, y compris des éléments accessoires, comme les avantages en nature.

Le salarié peut donc continuer à bénéficier, pendant la dispense de préavis ou de son arrêt de travail, de son véhicule de fonction ou du logement de fonction (Cass. Soc., 24 mars 2021, n°19-18.930 ; Cass. Soc., 14 décembre 2022, n°21-15.685 ; il est éventuellement possible de prévoir dans le contrat de travail une clause permettant de reprendre le véhicule de fonction du salarié pendant la période de suspension du contrat de travail : Cass. Soc., 2 avril 2014, n° 13-10.569).

L’employeur devra donc attendre le terme du contrat de travail du salarié pour demander la restitution de ces biens.

2. Où le salarié doit-il restituer les biens et matériels de l’entreprise ?

Cette question est d’importance, en particulier pour les salariés itinérants qui peuvent être domiciliés dans leur secteur de prospection, ou des salariés travaillant exclusivement en télétravail à des centaines de kilomètres des locaux de l’entreprise.

Le Code du travail et la Cour de cassation n’ont jamais répondu à cette question.

Les Cours d’appel peuvent avoir donc une interprétation différente.

La Cour d’appel de Montpellier vise ainsi, à défaut de précision dans le contrat de travail que le lieu de restitution correspond au « lieu de remise du véhicule et de signature du contrat de travail » (Cour d’appel de Montpellier, 5 juin 2019, n°18/01108).

De même, la Cour d’appel de Toulouse précise que la restitution se distingue de la mise à disposition, de sorte que le salarié doit remettre physiquement à l’entreprise, dans ses locaux, les biens et matériels (Cour d’appel de Toulouse, 21 février 2020, n°17/03936).

Idem pour la Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt récent du 18 janvier 2023 (Cour d’appel de Bordeaux, 18 janvier 2023, n°19/04680).

Mais la Cour d’appel de Dijon indique qu’il appartient à l’employeur de venir récupérer les documents au domicile du salarié en arrêt de travail pour maladie, et non à ce dernier de venir les restituer au siège de l’entreprise (Cour d’appel de Dijon, 24 octobre 2019, n°17/00758).

Pour limiter le plus possible cette incertitude, il est conseillé d’indiquer directement dans le contrat de travail (ou un avenant au contrat de travail) le lieu de restitution des biens et matériels de l’entreprise (siège social, agences de la société, par exemple).

En tout état de cause, les frais occasionnés par la restitution des biens et matériels de l’entreprise doivent être pris en charge par l’employeur.

3. Le salarié peut-il garder le matériel de l’entreprise en rétention pour des heures supplémentaires non rémunérées, des salaires non versés ou l’absence de versement de la totalité du solde de tout compte ?

Non, le salarié ne peut pas garder en rétention le matériel de l’entreprise, son véhicule de fonction ou son logement en attendant le versement effectif de son solde de tout compte ou encore d’heures supplémentaires non rémunérées.

Cette attitude est fautive, et l’employeur peut solliciter la réparation du préjudice subi, peu importe la réalité des heures supplémentaires, ou encore l’absence de versement de l’intégralité du solde de tout compte (Cour d’appel de Lyon, 16 septembre 2022, n°17/08041 ; Cour d’appel de Paris, 25 mai 2022, n°19/08736, Cour d’Appel de Dijon, 20 octobre 2022, n°21/00047).

Il conviendra néanmoins pour l’employeur de démontrer le préjudice, avec des éléments le justifiant (par exemple : le montant du crédit-bail du véhicule de fonction non restitué).

4. Est-ce qu’à l’inverse, l’employeur peut conditionner la communication des documents de fin de contrat et le versement du solde de tout compte à la restitution du matériel ?

Non, ces obligations sont distinctes l’une de l’autre.

Le refus de mettre à disposition les documents de fin de contrat de travail et versement du solde de tout compte peut vous valoir une condamnation à une obligation de communication sous astreinte, voire même à des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le salarié (Cour d’Appel de Versailles, 21 novembre 2013, n°12/03300).

Attention donc à ne pas vous mettre en faute !

Vous pouvez néanmoins indiquer à votre ex-salarié que ses documents de fin de contrat et le chèque associé sont à sa disposition au bureau de l’entreprise.

En effet, vous avez seulement l’obligation de mettre à disposition ces documents aux salariés, en l’invitant à venir les retirer, mais pas de les envoyer par courrier.

Ainsi, dans de nombreux cas, une correspondance rappelant au salarié que ces documents sont à sa disposition au sein de l’établissement, en lui demandant de prendre contact avec vous pour organiser la date et l’heure de rendez-vous, vous permettra également de lui rappeler que la restitution du matériel de l’entreprise s’effectuera au même moment.

Cela permet de résoudre la plupart des cas, le salarié étant moins enclin à continuer dans sa posture conflictuelle lors d’un rendez-vous physique avec l’employeur.

S’il persiste dans son refus, la menace d’un dépôt de plainte pénale peut souvent faire bouger les choses.

5. L’employeur peut-il décider de déduire du solde de tout compte du salarié le matériel non restitué, en compensation ?

De nombreuses Cours d’appel admettent la possibilité de compenser une partie du solde de tout compte du salarié avec les sommes dues au titre des outils et instruments non restitués au moment du licenciement, compte tenu de la résistance injustifiée du salarié (Cour d’appel de Toulouse, 23 juin 2017, nº15/02757 ; Cour d’appel d’Aix-en-provence, 19 février 2016, nº13/15047 ; Cour d’appel de Versailles, 1er juin 2011, nº10/01940 ; Cour d’Appel de Nancy, 5 septembre 2018, n°17/00416 ; Cour d’Appel de Nancy, 7 juillet 2022, n°21/02431)

Mais il convient d’être très prudent, puisque, la compensation est strictement encadrée par des conditions.

Elle nécessite notamment que les créances des deux côtés soient à minima certaines, ce qui peut faire débat concernant la restitution du matériel de l’entreprise. La valeur des biens non restitués peut aussi faire l’objet de discussions quant au montant retenu, ce qui peut fragiliser la compensation opérée (article 1347 du Code civil).

Il sera donc important pour vous de garder tout justificatif du montant des biens et matériels professionnels fournis au salarié.

Attention également, la perte involontaire du matériel de l’entreprise par le salarié, sa dégradation ou son vol au cours de l’exécution du contrat de travail ne permet pas à l’employeur de déduire de son salaire ou de son solde de tout compte le montant préjudiciable, sauf faute lourde (qui nécessite de démontrer l’intention de nuire, et permet d’engager la responsabilité pécuniaire du salarié) (Cass. Soc., 19 octobre 1995 n°94-41.146 ; Cass. Soc. 20 avril 2005 n°03-40.069 ; Cour d’appel de Paris, 18 juin 2013, nº11/05492).

6. Comment faire pour solliciter en justice la restitution des biens ou matériels de l’entreprise ?

Vous avez plusieurs possibilités, qui peuvent être utilisées cumulativement :

  • La plainte pénale pour abus de confiance, avec constitution de partie civile ;
  • La saisine du Conseil de prud’hommes en référé (procédure d’urgence), avec la demande de fixation d’une astreinte par jour de retard (Cass. Soc. 30 juin 2011 n°10-17.773) ;
  • La saisine du Conseil de prud’hommes au fond pour solliciter une indemnisation du préjudice subi du fait de l’absence de restitution ou de la restitution tardive des biens et matériels de l’entreprise (Par exemple : en cas de restitution tardive de son véhicule de fonction après la rupture de son contrat de travail, indemnisation correspondant aux loyers hors taxes supportés par l’employeur à partir de la date où la salariée en a été informée, c’est-à-dire la date de réception de la mise en demeure de restituer le matériel (Cour d’Appel de Paris, 25 mai 2022, n°19/08736).

Pour le logement, l’éviction du salarié ne pourra être demandé par l’employeur qu’en respectant une procédure plus contraignante devant le juge de l’exécution, compte tenu du principe du droit au logement (Cour d’appel de Reims, 27 juin 2012, n°10/02323).

Article publié sur le site villagedelajustice.com

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